[revue-presse-FNH] Petite revue de presse spéciale « La fin de la nature ? », une série en six épisodes (lundi 27 juillet)

Florence de Monclin f.demonclin at fnh.org
Lun 27 Juil 07:59:16 CEST 2020


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1- Enquête. « La fin de la nature ? » (1/6) <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/20/depasser-le-dualisme-entre-nature-et-culture_6046682_3451060.html>. Dépasser le dualisme entre nature et culture <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/20/depasser-le-dualisme-entre-nature-et-culture_6046682_3451060.html>, Le Monde, 20/07/20, 06h54
2- Enquête « La fin de la nature ? » (2/6). La construction du grand partage entre l’homme et la nature <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/21/la-construction-du-grand-partage-entre-l-homme-et-la-nature_6046806_3451060.html>, Le Monde, 21/07/20, 08h11
3- Enquête « La fin de la nature ? » (3/6). Naissance du sentiment de la nature <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/22/naissance-du-sentiment-de-la-nature_6046894_3451060.html>, Le Monde, 22/07/20, 07h03
4- Enquête « La fin de la nature ? » (4/6). Aux origines du désastre écologique <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/23/aux-origines-du-desastre-ecologique_6047013_3451060.html>, Le Monde, 23/07/20, 08h19
5- Enquête « La fin de la nature ? » (5/6). Protéger la nature, mais comment ? <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/24/proteger-la-nature-mais-comment_6047132_3451060.html>, Le Monde, 24/07/20, 05h23
6- Enquête « La fin de la nature ? » (6|6). Cohabiter avec tous les vivants <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/25/cohabiter-avec-tous-les-vivants_6047239_3451060.html>, Le Monde, 25/07/20, 06h40

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Florence

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ENQUÊTE DU JOUR : « La fin de la nature ? », une série en six épisodes. (cf. item 1 à 6)
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1- Enquête « La fin de la nature ? » (1/6). Dépasser le dualisme entre nature et culture, Le Monde, 20/07/20, 06h54
Catherine Vincent

« La fin de la nature ? » (1/6). Anthropologues et philosophes l’affirment : la na­ture, ça n’existe pas. Ce n’est qu’une construction de l’esprit allant de pair avec son opposée, la culture. Sur ce dualisme a été menée une exploitation effrénée des res­sources vivantes. Faut-il alors se débarrasser de la « nature »? Pas si simple.
C’est à l’aval de la rivière Kapawi, dans les années 1970, que Philippe Descola a commencé à s’interroger sur l’évidence de la nature. Le jeune anthropologue était parti à la rencontre des Achuar, une tribu Jivaro située à la frontière entre l’Equateur et le Pérou.
Ce jour-là, la femme qui le loge se fait mordre par un serpent. On lui injecte du sérum, la voilà hors de danger. Pourquoi alors Chumpi, son mari, reste-il furieux et bouleversé ? Le chercheur finit par comprendre. La morsure ne doit rien au hasard : c’est une vengeance envoyée par l’esprit Jurijri, l’une des « mères du gibier », à l’encontre de celui qui s’était livré, la veille, à un grand massacre de singes laineux.
L’homme n’en avait ramené que trois, en laissant un quatrième agoniser tandis que plusieurs autres, blessés, avaient réussi à fuir. « Parce qu’il avait tué, presque par fantaisie, plus d’animaux qu’il n’était nécessaire pour la provende de sa famille, parce qu’il ne s’était pas inquiété du sort de ceux qu’il avait estropiés, Chumpi avait manqué à l’éthique de la chasse et rompu la convention implicite qui lie les Achuar aux esprits protecteurs du gibier », raconte Philippe Descola. D’où les représailles.
> Lire aussi Où s'arrête la nature ? Où commence la culture ?
A mesure qu’il décrypte leur mode de vie, l’anthropologue découvre que ces tribus amérindiennes disposent d’une vaste gamme d’incantations magiques, grâce auxquelles elles agissent à distance sur les plantes, les animaux, les météores et les esprits.
Penser le monde autrement
Du degré de connivence de ces relations avec les autres « existants », tous dotés d’une âme et d’une vie autonome, dépend la qualité de vie des humains – l’harmonie conjugale, le succès de la chasse, la bonne santé des cultures. Un continuum entre humains et non-humains que pratiquent bien d’autres populations dans le monde, comme Philippe Descola ne tarde pas à le vérifier : des forêts luxuriantes de l’Amazonie aux étendues glacées de l’Arctique canadien, de la Sibérie orientale à la péninsule malaise, certains peuples ne se conçoivent pas comme des collectifs sociaux gérant leurs relations à un écosystème, mais comme de simples composantes d’un ensemble plus vaste.
Structurer et théoriser cette cosmologie constitua dès lors la tâche essentielle de celui qui occupa, de 2000 à 2019, la chaire d’anthropologie de la nature au Collège de France. Par-delà nature et culture (2005, réédité en Folio Essais), son œuvre maîtresse, s’attache ainsi à montrer que « l’opposition entre la nature et la culture ne possède pas l’universalité qu’on lui prête ». Pour le dire autrement : la nature, ça n’existe pas. Ce n’est qu’une construction de l’esprit allant de pair avec son opposée, la culture, propre à l’espèce humaine.
> Lire aussi On reprend. Des âmes et des corps
Parce que cette vision s’est imposée à l’échelle mondiale, parce qu’elle a autorisé une exploitation effrénée des ressources vivantes, elle met désormais en péril la vie de millions d’espèces, la nôtre comprise. Il importerait donc de s’en défaire.
C’est ce qu’affirme un nombre croissant de philosophes, de biologistes, d’environnementalistes, pour qui ce concept encombrant entrave nos possibilités de penser le monde autrement. Or, il y a urgence. La crise mondiale déclenchée par un simple virus vient de nous le rappeler cruellement : on ne néglige pas impunément les équilibres écologiques. Et il ne s’agit là que du dernier avatar des multiples changements environnementaux et climatiques que nos activités humaines sont en train de provoquer. Non pas une crise, mais une véritable mutation de notre système « Terre » que l’on ne peut affronter sans bâtir une vision plus unifiée du monde.
« Aussi inséparables que des frères siamois »
En finir avec la nature ? Pas si simple. On ne raye pas sans mal de son vocabulaire un mot si ancien, recouvrant des réalités si grandes et si diverses. « Nature » vient du latin natura, le participe futur du verbe « naître » (nasci) au féminin.
Natura sert à traduire le terme grec phusis, concept clé de la philosophie antique issu du verbe phuein (« croître » ou « pousser »). C’est pourquoi le terme doit être gardé, estime la spécialiste de littérature Anne Simon. « La naissance, c’est un acte, quelque chose qui est en avant de nous-mêmes. Quand on donne naissance à un enfant, on ne sait pas ce qu’il va devenir. Le mot nature recèle une temporalité en réserve, une ouverture qui permet d’élargir ses interprétations », précise cette chercheuse CNRS. Autant donc « se coltiner l’héritage dérangeant du terme », et tenter de le revitaliser.
> Lire aussi Anne Simon : « Je suis traversée par ce qu’on inflige au vivant »
Peine perdue, rétorque le sociologue et philosophe Bruno Latour, très impliqué dans la réflexion écologique. Nature comme culture sont difficiles à redéfinir car, affirme-t-il, elles constituent les deux parties d’un même concept reliées « par un fort élastique ». « Dans la tradition occidentale, on ne peut jamais parler de l’une sans parler de l’autre : il n’y a pas d’autre nature que cette définition de la culture et pas d’autre culture que cette définition de la nature. Elles sont nées ensemble, aussi inséparables que des frères siamois qui se feraient des caresses ou se battraient à coups de poing sans cesser de partager le même tronc », insiste-t-il.
Une conviction que partage la philosophe et historienne des sciences américaine Donna Haraway, pour qui les deux termes forment « une ­coconstruction indissociable ». « La distinction ­entre ces deux entités sous-entend que la ­culture est la zone réservée à l’humain, et que la nature est celle réservée à tout ce qui ne l’est pas – l’humain pouvant disposer de ce “reste” à ­volonté pour ses propres fins », résume-t-elle. Pour sortir de l’impasse et qualifier autrement le règne du vivant auquel nous appartenons, cette professeure émérite à l’université de Californie de Santa Cruz propose « natureculture » : un concept qui ne renvoie ni à l’unité ni au duo, mais au multiple, « une sorte de nœud ­tentaculaire où s’enchevêtrent les vivants, les morts et toutes les choses terrestres ». 
Les mille figures de Gaïa
D’autres mots, encore ? Philippe Descola parle des « existants », le philosophe de l’environnement Baptiste Morizot préfère le « tissu du vivant ». Bruno Latour, lui, invoque volontiers Gaïa, déesse de la mythologie grecque personnifiant la Terre dont le nom fut adopté par le climatologue anglais James Lovelock, à l’aube des années 1970, pour désigner l’ensemble des phénomènes vivants qui modifient notre planète. « En explorant les mille figures de Gaïa, on peut déplier rétrospectivement tout ce que la notion de Nature avait confondu »,défend-il dans Face à Gaïa (La Découverte, 2015).
> Lire aussi Donna Haraway : « Avec le terme chthulucène, je voulais que l’oreille entende le son des terrestres »
Comme Bruno Latour, la philosophe des sciences Isabelle Stengers (voir extrait), retraitée de l’Université libre de Bruxelles, estime elle aussi que « l’intrusion de Gaïa » dans les affaires humaines nous oblige à « penser avec ce qui arrive ». Pour autant, elle n’estime pas nécessaire de se débarrasser du mot « nature ». Il lui semble plus essentiel de tisser avec les autres vivants des relations de coexistence et d’interdépendance.
Deborah Bird Rose, anthropologue australienne disparue en 2018, défendait plus radicalement encore la conservation du mot. « Le terme nature est problématique, notamment parce que la division nature/culture fait partie du problème, pas de la solution, écrivait-elle dans Vers des humanités écologiques (Wildproject, 2019). Dans son histoire problématique, provocatrice et violente, ce terme continue de nous défier, et pour cette raison tout spécialement, je continue de l’utiliser. »
> Lire aussi Philippe Descola : « Nous sommes devenus des virus pour la planète »
Pour repenser en profondeur nos relations au monde, faut-il donc, ou non, se débarrasser de ce concept devenu sulfureux ? Pour tous ceux, de plus en plus nombreux, qui concourent aux « humanités écologiques » – vaste ensemble de disciplines alliant histoire et philosophie de l’environnement, études littéraires et culturelles, anthropologie, art, géographie ou écologie politique –, il s’agit en tout cas de dépasser le dualisme nature/culture. D’interroger l’ensemble des réseaux associant les êtres humains et non humains. De Vivre avec le trouble, selon le titre du dernier ouvrage de Donna Haraway publié en français (Editions des mondes à faire, 380 p., 28 euros), pour inventer de nouvelles interactions avec le vivant. Nous verrons comment ils envisagent cette mutation fondamentale. Mais il faut auparavant revisiter la longue histoire que nous avons tissée, depuis l’Antiquité, avec l’univers qui nous entoure.
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Isabelle Stengers : « La nature “tient” indépendamment des humains »
Extrait
« La nature, au fond, c’est une idée assez vide ; mais l’idée que “la nature n’existe pas” me semble, elle, faire partie de l’arsenal académique destiné à choquer, à scandaliser. (…) Au fond, les scientifiques qui s’occupent d’aspects dispersés de ce qu’on appelle “nature” se fichent assez de la fameuse séparation nature/culture. En revanche, ils se révoltent si on leur dit que “ce n’est qu’une construction”.. C’est pourquoi j’aime bien la proposition du philosophe Alfred North Whitehead [1861-1947], qui a lié l’idée de “nature” avec ce que demandent les scientifiques lorsqu’ils parlent de la nature. La nature, ce serait ce à propos de quoi, si nous lui prêtons l’attention qui convient, nous trouverons plus, et nous n’accepterons pas d’y trouver moins. C’est ce qui fait travailler les scientifiques et ce qui les fait se révolter si on leur dit que la réalité est muette, que ce qu’ils trouvent c’est ce qu’ils ont mis, que tout n’est que représentation. Non, la nature “tient” indépendamment des humains. Et la manière, ou plutôt les manières dont elle tient est ce qui demande de l’attention. (…) On peut appeler “nature” ce qu’on n’en finit jamais d’explorer. (…)
Je ne perds pas mon temps à critiquer les mots pour le plaisir. Ils sont tous chargés d’histoire, et si on les juge à cause de cette histoire, on n’aura bientôt plus de mots. D’autres peuples ont d’autres mots. Donc pourquoi les nôtres devraient-ils être sans cesse remis en question ? Ce contre quoi on peut lutter en revanche, c’est certainement l’idée d’une nature régie par des lois alors que nous, nous serions des êtres de culture. Et on peut dire aussi que rêver d’une nature qui serait régie par les humains, c’est rêver sa destruction. On peut très bien fabriquer des monocultures qui ne tiennent plus que par nous, nos pesticides et nos engrais. Cela définit un ravage de la nature, la destruction de ce qui tient sans nous.
§ Résister au désastre, d’Isabelle Stengers (Editions des mondes à faire, 380 p., 28 euros).
<https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/20/depasser-le-dualisme-entre-nature-et-culture_6046682_3451060.html <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/20/depasser-le-dualisme-entre-nature-et-culture_6046682_3451060.html>>
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« La fin de la nature ? », une série en six épisodes
• Dépasser le dualisme entre nature et culture <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/20/depasser-le-dualisme-entre-nature-et-culture_6046682_3451060.html>
• La construction du grand partage <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/21/la-construction-du-grand-partage-entre-l-homme-et-la-nature_6046806_3451060.html>
• Naissance du sentiment de la nature <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/22/naissance-du-sentiment-de-la-nature_6046894_3451060.html>
• Aux origines du désastre écologique <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/23/aux-origines-du-desastre-ecologique_6047013_3451060.html>
• Protéger la nature, mais comment ? <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/24/proteger-la-nature-mais-comment_6047132_3451060.html>
• Cohabiter avec tous les vivants <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/25/cohabiter-avec-tous-les-vivants_6047239_3451060.html>
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2- Enquête « La fin de la nature ? » (2/6). La construction du grand partage entre l’homme et la nature, Le Monde, 21/07/20, 08h11
Catherine Vincent

« La fin de la nature ? » (2/6). Chez les philosophes grecs, les humains font partie de la nature. Mais tout change avec l’avènement du christianisme, puis de la modernité.
En 1859, à 50 ans tout juste, le naturaliste et paléontologue anglais Charles Darwin publie l’ouvrage qui va révolutionner la biologie, L’Origine des espèces. Tous les êtres vivants, affirme-t-il, ont évolué au cours du temps à partir de quelques ancêtres communs grâce au processus de la sélection naturelle. Le scandale est à la hauteur du blasphème : selon les lois de l’évolution, l’homme fait partie du règne du vivant au même titre que l’éléphant ou le ver de terre. Il n’est plus au centre, et encore moins au sommet de la création. Une rupture majeure avec la pensée classique judéo-chrétienne, pour qui notre espèce, créée par Dieu, n’a pas sa place dans la nature mais au-dessus d’elle.
> Lire aussi Darwin l'opiniâtre 
Il n’en a pas toujours été ainsi. Dans la longue construction occidentale de la nature, tout commence en Grèce, comme d’habitude. Avant même Aristote (384-322 av. J.-C.), les philosophes présocratiques s’efforcent de dégager des lois pour expliquer le monde qui les entoure. Il s’agit pour eux de proposer des causes physiques à chaque sorte de phénomène, des causes relevant de leur « nature » et non de l’arbitraire des dieux. « Pour le philosophe et mathématicien Thalès, s’il survient un tremblement de terre, ce n’est pas parce que Poséidon s’énerve et remue la mer, et que la Terre étant posée sur les eaux, elle se met à trembler. C’est à cause d’une série régulière de phénomènes qui ne nécessitent plus l’intervention des dieux », résume le philosophe des sciences Dominique Bourg. Le concept des lois naturelles est déjà là. Il reviendra à Aristote (voir extrait) de le systématiser.
Dès le début du livre II de sa Physique, ce disciple de Platon définit la nature comme « un certain principe, à savoir une cause du fait d’être mû et d’être en repos pour ce à quoi elle appartient immédiatement par soi et non par accident ». Ce principe est celui de la phusis, qui donnera naturaen latin : ce qui apparaît de soi-même, ce qui advient à l’existence. La phusis, « c’est d’abord le processus de développement des choses qui croissent, précise le philosophe Pierre Pellegrin, traducteur d’Aristote. C’est ensuite la matière première à partir de laquelle les choses se développent ; c’est aussi le moteur même de ce développement, et pour Aristote, cela ne peut être qu’une réalité formelle : “l’homme engendre l’homme”, c’est-à-dire qu’il faut que la réalité originaire soit en pleine possession de sa nature pour que le processus d’engendrement ait lieu ; c’est enfin le résultat de ce processus de développement, ce que l’on appelle couramment la “nature” de chacune des choses. »
La Terre et le cosmos
Les Grecs séparent l’univers en deux mondes différents : le monde sublunaire, soumis à l’évolution et à l’altération, dans lequel se situent la Terre et donc l’homme ; et le cosmos, monde parfait des astres, immuable et soumis à des lois différentes des lois terrestres. Dans la pensée grecque, les humains font donc partie de la nature, celle-ci englobant à la fois monde sublunaire et monde céleste.
Tout change avec l’avènement du christianisme. Contrairement à la pensée grecque, selon laquelle le cosmos est incompatible avec le principe d’un Dieu créateur, celui-ci suppose un Dieu transcendant, étranger au monde et précédant l’existence du cosmos qu’il a lui-même conçu. Il entraîne également une modification du statut de l’homme. Dans la pensée chrétienne, celui-ci n’est plus « par nature », comme les plantes et les animaux : son essence et son devenir relèvent désormais de la grâce, qui est au-delà de la nature. Une transcendance qui lui donne le droit et le devoir d’administrer le reste du vivant, de l’organiser et de l’aménager selon ses besoins.
> Lire aussi On reprend. Des âmes et des corps
Commence ainsi ce que l’anthropologue Philippe Descola appelle le « grand partage » : entre les humains et leurs productions d’une part, le monde naturel d’autre part. Transcendance divine, singularité de l’homme, extériorité du monde : au sortir du Moyen Age, « toutes les pièces du dispositif sont désormais réunies pour que l’âge classique invente la nature telle que nous la connaissons », écrit-il dans Par-delà nature et culture (2005, réédité en Folio Essais). 
L’exceptionnalité de l’homme
A l’époque médiévale, la nature reste encore une force chaotique et récalcitrante. De gigantesques épidémies de peste ravagent l’Europe, des volcans engloutissent des villes entières. Cette nature, que l’Occident reçoit en héritage des premiers siècles du christianisme, conserve « une part de mystère, une forme d’autonomie que l’on renvoie sans conviction à une obscure volonté divine », souligne Virginie Maris, philosophe de l’environnement et autrice de La Part sauvage du monde (Seuil, 2018). Alors que le Moyen Age se soumet à cet instrument divin, destiné à éprouver la foi des fidèles ou à les punir de leurs péchés, la modernité va changer la donne. A partir du XVIe siècle, et plus encore du siècle suivant, les progrès de la pensée scientifique, sa puissance de raisonnement et de compréhension du monde consacrent durablement ce « grand partage », rendant le dualisme entre l’homme et le reste du monde quasiment irréversible.
> Lire aussi Mutations. La nature à jamais
Après Copernic (1473-1543), Galilée (1564-1642), puis Newton (1642-1727), la vision du monde ne peut plus être la même : la Terre tourne autour du Soleil, l’univers est composé de particules, et les mêmes lois régissent le tout. « Ce que fait la modernité à l’idée de nature, c’est la vider de toute autonomie, l’épuiser littéralement, résume Virginie Maris. Elle devient une substance, homogène et passive. Les animaux sont comme des automates aux mécaniques infiniment plus fines et complexes que les montres que fabriquent les horlogers, mais répondant aux mêmes principes, faits de rouages et de ressorts. » Pour Descartes (1596-1650), le père de « l’animal-machine », la nature n’est plus « qu’une chose étendue, flexible et muable ». Une vision qui, plus que jamais, conforte l’exceptionnalité de l’homme, seul être suffisamment doué de raison pour comprendre et contrôler cet univers fait de pure matière. C’est le cogito cartésien, le « Je pense, donc je suis » du Discours de la méthode (1637) : dans sa recherche de la connaissance, la seule chose dont l’homme peut être certain est sa propre existence, en tant que « chose qui pense ».
La nature, une ressource à exploiter
Dès lors, écrit Philippe Descola, « l’intelligibilité et le contrôle des non-humains sont renvoyés au sujet connaissant et au sujet agissant, au savant dans son poêle et à l’ingénieur asséchant les polders, au physicien manipulant sa pompe à vide et au garde-marteau dans les forêts de Colbert ». A l’aube du siècle des Lumières, le « grand partage » a donc pleinement gagné droit de cité. Il donnera naissance à l’économie moderne, pour laquelle la nature n’a d’autre valeur que d’être une ressource à exploiter.
Vue du côté de la science, en revanche, la séparation surplombante de l’homme avec le reste du monde ne tarde pas à se fissurer. « LeXVIIe siècle avait engendré l’idée d’une humanité purement extérieure et purement spirituelle, le grand mouvement de pensée qui suivra consistera à réintégrer l’être humain dans la nature », précise Dominique Bourg. La première secousse survient dès le XVIIIe siècle : alors que triomphe le matérialisme, le médecin et philosophe Julien Offray de La Mettrie, dans L’Homme machine (1748), étend à l’homme le principe cartésien de l’animal-machine, rejetant ainsi toute forme de dualisme entre pure pensée et pure matière. Mais c’est au cœur du XIXe siècle, lorsque la révolution darwinienne inscrit magistralement l’espèce humaine dans la lignée de l’évolution du vivant, que survient la véritable rupture avec la pensée judéo-chrétienne jusqu’alors dominante.
Un siècle plus tard, la structure de l’ADN, support universel de l’hérédité, est élucidée (1953). Quelques décennies encore, et c’est l’éthologie qui explose. On observe que des groupes de chimpanzés se transmettent des techniques bien distinctes, que les chants des oiseaux présentent des variations individuelles et régionales – bref, que les animaux sont capables de produire de la différence culturelle. Mieux (ou pire) : on découvre aujourd’hui que les plantes communiquent entre elles d’une manière bien plus « intelligente » qu’on ne le croyait jusqu’alors. L’exception humaine en prend un sérieux coup, l’unité du vivant commence à réapparaître. Comme l’écrivait le philosophe britannique Alfred North Whitehead (1861-1947), « les bords de la nature sont toujours en lambeaux ».
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« Les étants par nature et les autres »
Extrait
Parmi les étants, certains sont par nature, les autres du fait d’autres causes : nous disons que sont par nature les animaux ainsi que leurs parties, les plantes, les corps simples comme la terre, le feu, l’air, l’eau – de ces choses, en effet, et des choses semblables nous disons qu’elles sont par nature. Or toutes ces choses se montrent différentes de celles qui ne sont pas constituées par nature. Chacune de celles-là, en effet, possède en elle-même un principe de mouvement et d’arrêt, les unes quant au lieu, d’autres quant à l’augmentation et à la diminution, d’autres quant à l’altération. Par contre un lit, un manteau, et quoi que ce soit d’autre de ce genre, d’une part en tant qu’ils ont reçu chacune de ces dénominations et dans la mesure où ils sont le produit d’un art, ne possèdent aucune impulsion innée au changement. (…)
Certains sont d’avis que la nature et la substance des êtres qui sont par nature est le constituant interne premier de chaque chose, par soi dépourvu de structure, par exemple que d’un lit la nature c’est le bois, d’une statue l’airain. Un indice en est, dit Antiphon, que, si on enterrait un lit, et si la putréfaction acquérait la puissance de faire pousser un rejet, ce n’est pas un lit qui viendrait à l’être mais du bois, parce que, d’après lui, ce qui lui appartient par accident c’est la disposition conventionnelle que lui a donnée l’art, alors que sa substance c’est cette réalité qui, continûment, perdure tout en subissant cela. (…)
Un homme naît d’un homme, mais pas un lit d’un lit ; c’est pourquoi aussi on dit que ce n’est pas la configuration qui en est la nature mais le bois (parce que ce qui viendrait à l’être, si ça bourgeonnait, ce n’est pas un lit mais du bois) ; si, donc, ceci est un artefact, la figure aussi est nature : du moins un homme naît-il d’un homme.
§ Physique, Livre II, d’Aristote (GF Flammarion 2002, traduction Pierre Pellegrin).
<https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/21/la-construction-du-grand-partage-entre-l-homme-et-la-nature_6046806_3451060.html <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/21/la-construction-du-grand-partage-entre-l-homme-et-la-nature_6046806_3451060.html>>
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« La fin de la nature ? », une série en six épisodes
• Dépasser le dualisme entre nature et culture <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/20/depasser-le-dualisme-entre-nature-et-culture_6046682_3451060.html>
• La construction du grand partage <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/21/la-construction-du-grand-partage-entre-l-homme-et-la-nature_6046806_3451060.html>
• Naissance du sentiment de la nature <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/22/naissance-du-sentiment-de-la-nature_6046894_3451060.html>
• Aux origines du désastre écologique <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/23/aux-origines-du-desastre-ecologique_6047013_3451060.html>
• Protéger la nature, mais comment ? <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/24/proteger-la-nature-mais-comment_6047132_3451060.html>
• Cohabiter avec tous les vivants <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/25/cohabiter-avec-tous-les-vivants_6047239_3451060.html>
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3- Enquête « La fin de la nature ? » (3/6). Naissance du sentiment de la nature, Le Monde, 22/07/20, 07h03
Catherine Vincent

« La fin de la nature ? » (3/6). Rousseau est l’un des premiers penseurs occidentaux à préfigurer la question écologique, qui se pose aujourd’hui de façon aiguë. Mais cette sensibilité au monde s’ébauche en fait bien avant le XVIIIe siècle. Une mutation lente vers une valorisation de la nature, qui débouchera sur l’exaltation du romantisme.
Lorsqu’il écrit Les Rêveries du promeneur solitaire, entre 1776 et 1778, Jean-Jacques Rousseau a plus de 60 ans. Depuis 1762, date à laquelle le Parlement de Paris a condamné son Emile ou De l’éducation et décrété son arrestation, il vit en Suisse, avec le sentiment d’être persécuté par ses pairs. Ses déambulations solitaires dans une nature inviolée provoquent l’exaltation de ses sens. « Brillantes fleurs, émail des prés, ombrages frais, ruisseaux, bosquets, verdure, venez purifier mon imagination salie par tous ces hideux objets. Mon âme morte à tous les grands mouvements ne peut plus s’affecter que par des objets sensibles ; je n’ai plus que des sensations, et ce n’est plus que par elles que la peine ou le plaisir peuvent m’atteindre ici-bas », écrit-il dans la Septième Promenade.
Apologie d’un art nouveau du naturel
On aurait tort, pourtant, de décréter Rousseau amoureux des paysages sauvages parce qu’ennemi des hommes. Au contraire, « il est un des premiers penseurs occidentaux qui aiment à la fois la nature et la démocratie », souligne la philosophe de l’environnement Catherine Larrère, professeure émérite à l’université Paris-I. Bien avant ses déboires politiques, l’auteur du Contrat social, en effet, a déjà longuement évoqué ce « sentiment de la nature » : non pas comme une manière de s’isoler du monde, mais comme la revendication d’une vie différente de celle imposée par la société existante. Ainsi, et bien que les amours de Saint-Preux et Julie dans La Nouvelle Héloïse (1761) aient pour décor les grandioses sommets des Alpes, c’est dans un lieu on ne peut plus civilisé, le jardin de Julie, que s’exprime de la façon la plus précise sa sensibilité au vivant. Rousseau (voir extrait) fait dans ces pages l’apologie d’un art nouveau du naturel, qui s’inscrit dans une évolution subtile, mais profonde, de notre relation au monde.
> Lire aussi La politique de Rousseau précurseur de la sociologie contemporaine
Domestiquer et embellir la nature, tout en faisant en sorte que cela ne se voie pas : tel est le secret de Julie. « Quand Saint-Preux réalise que ce qu’il a d’abord pris pour une forêt vierge est en fait un paysage artificiel, il pense que ce travail a demandé beaucoup d’argent », poursuit Catherine Larrère. « “Pas du tout” , lui répond Julie. Et elle lui donne la formule du jardin : “La nature a tout fait mais sous ma direction.” Il s’agit non pas de fabriquer mais d’orienter les processus naturels, de faire en sorte qu’une plante en aide une autre. Dans le jardin de Julie, Rousseau, qui était un excellent botaniste, faisait en quelque sorte de la permaculture. »
Mélanger le sauvage et le cultivé
En mélangeant ainsi le sauvage et le cultivé, en rendant sensible, présent, le monde végétal, ce philosophe des Lumières défend l’idée que l’opposition entre la nature et la société peut être surmontée. En cela, il préfigure la question écologique qui se posera de façon aiguë deux siècles plus tard. « L’œuvre de Rousseau deviendra, rétrospectivement, l’un des foyers majeurs de l’exaltation romantique de la nature et de sa critique de la “civilisation” industrielle », rappelle le philosophe Serge Audier dans La Société écologique et ses ennemis (La Découverte, 2017). Mais le « sentiment de la nature », cette sensibilité au monde que Bernard Charbonneau, pionnier de l’écologie politique, qualifiera dans les années 1930 de « force révolutionnaire », s’ébauche en fait bien avant le XVIIIe siècle.
Pour saisir cette lente transformation, qui commence, discrètement mais sûrement, à fissurer l’impérialisme triomphant de l’homme sur son environnement établi par l’interprétation de la Genèse, il faut lire le passionnant ouvrage de l’historien britannique Keith Thomas, Dans le Jardin de la nature (Gallimard, 1985). Comme l’indique son sous-titre – La Mutation des sensibilités en Angleterre à l’époque moderne (1500-1800) –, la valorisation de la nature apparaît dès le XVIe siècle. « Une mutation lente, produit de déplacements souvent minuscules et cumulatifs », précise l’historien Jacques Revel, qui consacrait, en 1983, dans la revue Le Débat, un long article au livre de Keith Thomas. « La nature et les créatures vivantes avaient été pendant des siècles des compagnons intimes, mais dont on ne doutait pas qu’ils n’eussent d’autre fonction que de satisfaire aux besoins des hommes et dont l’agencement même, voulu par Dieu, n’avait de sens que par rapport à l’ordre humain. » Sous le microscope du naturaliste, mais aussi dans l’affectivité nouvelle qui entoure désormais les animaux ou les arbres, « ils vont progressivement acquérir un statut autonome, émancipé de toute destination humaine apparente, et faire l’objet d’une valorisation pour eux-mêmes ».
> Lire aussi "Une rupture du contrat domestique"
Qualités intrinsèques des espèces
Quelques exemples de ces déplacements « minuscules » ? La vogue massive de l’animal familier entre les XVIe et XVIIIe siècles : dans toutes les couches de la société anglaise, le « pet » devient presque un membre à part entière de la famille humaine, doté d’un nom et parfois d’une épitaphe. Ou encore les nouveaux codes de la classification naturaliste, qui ne se réfèrent plus aux besoins et aux usages des hommes mais aux qualités intrinsèques des espèces : les animaux ne se répartissent plus en catégories distinctes, selon qu’ils sont utiles, domestiques ou sauvages, comestibles ou impropres à la consommation, ou encore beaux, nobles ou monstrueux, mais en fonction de leurs caractéristiques propres.
Dans l’esprit des intellectuels de l’époque, la nature s’autonomise. La tendance s’accentue au XVIIIe siècle. On valorisait jusqu’alors les paysages fertiles et cultivés, car ils rappelaient l’effort de l’homme et sa mainmise sur la création : ils perdent soudain de leur charme. Les jardins tirés au cordeau, tondus de près et bien taillés, se voient remplacés, note Keith Thomas, par « un style typiquement anglais de jardins-paysages, si irréguliers que parfois on pouvait à peine les distinguer d’un champ non cultivé ». On retrouve là le jardin de Julie.
Dans le même temps, les paysages sauvages et stériles deviennent un must. « Plus la scène est sauvage, plus grand est son pouvoir d’exciter l’émotion. Les montagnes, que l’on exécrait au milieu du XVIIe siècle comme des “difformités” stériles, des “verrues”, des “furoncles” (…), étaient devenues, un siècle plus tard environ, les objets de la plus grande admiration esthétique », détaille Keith Thomas. Après des siècles d’effroi, les voyageurs découvrent la beauté des Alpes, l’inspiration vient aux poètes face aux glaciers et aux gouffres. A l’exception notable de Chateaubriand, qui avouera, dans ses Mémoires d’outre-tombe, « j’ai beau me battre les flancs pour arriver à l’exaltation alpine des écrivains de montagne, j’y perds ma peine ».
> Lire aussi Serge Audier : « Sur les enjeux écologiques, une pression mondiale portée par les jeunes est urgente »
Exaltation du sentiment contre la raison
C’est le début du romantisme, qui se diffusera dans toute l’Europe jusqu’au milieu du XIXe siècle. Des romantismes, devrait-on dire, tant ce mouvement culturel exaltant le sentiment contre la raison a pris des contours différents selon les lieux et les époques. Entre le romantisme allemand, soupçonné d’avoir indirectement préparé la barbarie totalitaire nazie du fait de la place centrale accordée à la nature dans l’affirmation du nationalisme pangermanique, et le romantisme britannique, progressiste et démocratique, porté par le peintre et poète John Ruskin, les différences de positionnement sont notables. Notamment vis-à-vis de la philosophie de l’émancipation et de la raison critique portée par les Lumières.
« Tous les romantiques ne sont pas des anti-modernes, loin de là, rappelle Catherine Larrère. Pensez à Victor Hugo, qui n’est pas contre la Commune et qui défend les animaux ; à Jules Michelet, grand républicain qui se préoccupe d’environnement ; à la féministe George Sand, qui se bat pour la forêt de Fontainebleau… » Qu’ils soient teintés de conservatisme ou de socialisme, tous les romantiques présentent toutefois un point commun : ils confèrent à la nature une place centrale pour réenchanter le monde. Mais pas n’importe quelle nature : une nature puissante, sublime, exaltante – une nature rédemptrice et déjà menacée. En ce sens, remarque Serge Audier, ce mouvement a « joué un rôle absolument capital – tant du point de vue artistique et littéraire que philosophique – dans la découverte et la valorisation d’une “nature” plus ou moins “sauvage”, vierge ou spontanée, mais aussi dans la critique des dégâts environnementaux et esthétiques du capitalisme et de l’industrialisme ».Un couple redoutable qui va étendre au monde entier la mainmise de l’homme sur les ressources naturelles, et dont nous payons aujourd’hui chèrement les conséquences.
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« La main du jardinier ne se montre point »
Extrait
En entrant dans ce prétendu verger, je fus frappé d’une agréable sensation de fraîcheur que d’obscurs ombrages, une verdure animée et vive, des fleurs éparses de tous côtés, un gazouillement d’eau courante, et le chant de mille oiseaux, portèrent à mon imagination du moins autant qu’à mes sens ; mais en même temps je crus voir le lieu le plus sauvage, le plus solitaire de la nature, et il me semblait être le premier mortel qui jamais eût pénétré dans ce désert. (…)
Il y a pourtant ici, continuai-je, une chose que je ne puis comprendre ; c’est qu’un lieu si différent de ce qu’il était ne peut être devenu ce qu’il est qu’avec de la culture et du soin : cependant je ne vois nulle part la moindre trace de culture ; tout est verdoyant, frais, vigoureux, et la main du jardinier ne se montre point ; rien ne dément l’idée d’une île déserte qui m’est venue en entrant, et je n’aperçois aucun pas d’hommes. (…)
En considérant tout cela, je trouvais assez bizarre qu’on prît tant de peine pour se cacher celle qu’on avait prise ; n’aurait-il pas mieux valu n’en point prendre ? « Malgré tout ce qu’on vous a dit, me répondit Julie, vous jugez du travail par l’effet, et vous vous trompez. Tout ce que vous voyez sont des plantes sauvages ou robustes qu’il suffit de mettre en terre, et qui viennent ensuite d’elles-mêmes. D’ailleurs, la nature semble vouloir dérober aux yeux des hommes ses vrais attraits, auxquels ils sont trop peu sensibles, et qu’ils défigurent quand ils sont à leur portée : elle fuit les lieux fréquentés ; c’est au sommet des montagnes, au fond des forêts, dans des îles désertes, qu’elle étale ses charmes les plus touchants. Ceux qui l’aiment et ne peuvent l’aller chercher si loin sont réduits à lui faire violence, à la forcer en quelque sorte à venir habiter avec eux ; et tout cela ne peut se faire sans un peu d’illusion. »
§ La Nouvelle Héloïse, quatrième partie - Lettre XI, de Jean-Jacques Rousseau (Le Livre de Poche, 2002).
<https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/22/naissance-du-sentiment-de-la-nature_6046894_3451060.html <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/22/naissance-du-sentiment-de-la-nature_6046894_3451060.html>>
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« La fin de la nature ? », une série en six épisodes
• Dépasser le dualisme entre nature et culture <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/20/depasser-le-dualisme-entre-nature-et-culture_6046682_3451060.html>
• La construction du grand partage <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/21/la-construction-du-grand-partage-entre-l-homme-et-la-nature_6046806_3451060.html>
• Naissance du sentiment de la nature <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/22/naissance-du-sentiment-de-la-nature_6046894_3451060.html>
• Aux origines du désastre écologique <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/23/aux-origines-du-desastre-ecologique_6047013_3451060.html>
• Protéger la nature, mais comment ? <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/24/proteger-la-nature-mais-comment_6047132_3451060.html>
• Cohabiter avec tous les vivants <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/25/cohabiter-avec-tous-les-vivants_6047239_3451060.html>
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4- Enquête « La fin de la nature ? » (4/6). Aux origines du désastre écologique, Le Monde, 23/07/20, 08h19
Catherine Vincent

« La fin de la nature ? » (4/6). Il existe une véritable historiographie du désastre écologique : pour les uns, l’avènement du christianisme serait un élément-clé, pour d’autres, ce serait le Moyen Age ou la modernité préindustrielle.
C’est un joli mot : anthropocène, du grec anthropos (« être humain ») et kainos (« nouveau »), il signifie « l’âge de l’homme », et pourrait être riche de promesses. Dans les faits, il pointe le responsable du désastre écologique en cours. Popularisé en 2000, par le spécialiste de l’atmosphère Paul Josef Crutzen, prix Nobel de chimie 1995, le terme désigne une époque géologique qui a débuté il y a environ deux siècles, lorsque notre espèce est devenue le principal moteur des changements qui affectent la planète.
Le développement de nos sociétés modernes repose en effet sur un implicite : la maîtrise de la nature comme ressource illimitée – soit, précisément, ce que remet aujourd’hui en question le bouleversement des équilibres écologique et climatique de la Terre.
Cette domination atteint des sommets depuis l’avènement de la révolution industrielle. Mais elle plonge ses racines bien plus profondément dans le temps : au moins jusqu’au Moyen Age occidental.
> Lire aussi L'Homme a fait entrer la Terre dans une nouvelle époque géologique
En 1967, l’historien nord-américain Lynn White publiait, dans la revue Science, un article qui fit couler beaucoup d’encre : Les Racines historiques de notre crise écologique (réédité par les PUF en 2019). Ce spécialiste des sciences et techniques médiévales y situe les origines du désastre actuel dans les premiers siècles du second millénaire chrétien. Selon lui, c’est le christianisme qui a livré la nature à notre appétit sans limites. « Dans l’Antiquité, écrit-il, chaque arbre, chaque source, chaque colline avait son propre genius loci, son gardien spirituel. (…) En détruisant l’animisme païen, le christianisme a permis l’exploitation de la nature dans un climat d’indifférence à l’égard de la sensibilité des objets naturels. »
Réglementation des échanges marchands et financiers
Si la thèse de White fut très contestée – notamment pour sa lecture de la religion chrétienne, jugée trop simplificatrice –, elle n’en continue pas moins d’inspirer la réflexion.
Dans L’Occupation du monde (Zones sensibles, 2018), Sylvain Piron maintient ainsi que l’Américain, en situant les origines de cette domination dans les premiers siècles du second millénaire, avait vu juste. En explorant les rôles entremêlés du christianisme et de la pensée économique, cet historien montre comment l’arrière-plan théologique de la culture médiévale a fourni « un encouragement puissant à l’exploitation intensive du monde naturel, placé à la disposition de l’activité humaine ». 
> Lire aussi Pour l’Eglise, un demi-siècle d’apprentissage de l’écologie
A l’appui de sa démonstration : le Traité des contrats, rédigé à Narbonne, vers 1293-1295, par le franciscain Pierre de Jean Olivi. Abondamment diffusé autour du XVIe siècle, tombé dans l’oubli puis redécouvert dans les années 1970, ce texte constitue un moment clé dans l’histoire de la pensée économique occidentale.
Destiné à réglementer les échanges marchands et financiers qui se développaient alors dans le Bas-Languedoc, Olivi défend l’idée qu’il faut pour cela ouvrir un espace de pensée qui ne relève pas à proprement parler de la théologie, mais, écrit Piron, d’une « zone inférieure de moralité dans laquelle la justice divine n’est que faiblement impliquée ». Ce traité aborde également la question du juste prix, et celle du profit futur d’un « capital » investi dans des opérations commerciales. Il marque ainsi, selon le philosophe Dominique Bourg, « une nouvelle approche de la réalité sociale qui finira par déboucher sur l’idée qu’il existe un domaine spécifique, celui des relations économiques ».
> Lire aussi Dominique Bourg : « La priorité politique devrait être de préserver l’habitabilité de la planète »
A cette lecture de l’Occident médiéval, l’historien Etienne Anheim propose une vision complémentaire, moins globalisante et plus pragmatique. « Sans doute faut-il changer d’échelle d’analyse et cesser de manipuler des entités aussi vastes que la “nature” ou l’“Europe médiévale” pour comprendre plus précisément la production historique du rapport entre l’homme et son milieu », soulignait-il, en octobre 2017, lors du colloque de rentrée du Collège de France, organisé par l’anthropologue Philippe Descola sous le titre Les Natures en question(Odile Jacob, 2018).
Précisant qu’il existe des formes d’exploitation agricole très organisées dès le haut Moyen Age, que des polders sont créés dans les Flandres dès le XIIe siècle, que les cours du Rhône et de la Loire sont, à la même époque, l’objet de remaniements, que les forêts médiévales, à partir du XIVe siècle, font l’objet d’une gestion attentive et que, dans le même temps, se développent, partout en Europe, des mines et des carrières dans le but d’une exploitation commerciale, il rappelle que « le Moyen Age est un temps de prédation où le monde est livré aux hommes, qui y puisent largement, sans crainte de son épuisement ». Une action « collective et délibérée qui vise à modeler l’environnement », et qui façonne durablement notre rapport au monde.
Une nature maîtrisée et contrôlée
Le processus s’accélère avec l’époque moderne, durant laquelle sciences et techniques semblent pouvoir triompher de tout. « Desséchons ces marais, animons ces eaux mortes en les faisant couler, formons-en des ruisseaux, des canaux ; mettons le feu à ces vieilles forêts déjà à demi consommées » (…) Une Nature nouvelle va sortir de nos mains », affirme Buffon (1707-1788) dans son Histoire naturelle. La nature ne vaut que si elle est maîtrisée, contrôlée.
Alors que le « petit âge glaciaire », au début du XVIIe siècle, atteint son paroxysme, la foi dans le progrès est si grande qu’on lui prête même la capacité… de maîtriser le climat.
> Lire aussi Pierre Charbonnier, penseur du climat social
« A l’inverse de ce que nous vivons aujourd’hui, tout ce qui retarde le refroidissement du climat est alors bon à prendre, raconte l’historien des sciences Christophe Bonneuil. Or, voilà qu’on remarque qu’il fait plus chaud à Bordeaux qu’à Montréal, bien que les deux villes soient à la même latitude. L’explication est toute trouvée : les Européens ont “déforesté” et cultivé, autrement dit civilisé leur environnement – d’où ce bon climat tempéré qui n’existe pas en Amérique du Nord, où les “sauvages” n’ont pas suffisamment amélioré la terre. » Il suffira donc, pense-t-on alors, de les coloniser pour que le climat s’améliore également chez eux.
Dans son récent ouvrage Abondance et liberté. Une histoire environnementale des idées politiques (La Découverte, 464 pages, 24 euros), le philosophe Pierre Charbonnier explore longuement cette modernité préindustrielle des XVIIe et XVIIIe siècles, « quand le travail de la terre constituait encore la base de la subsistance ». Il montre bien comment le pacte entre croissance et démocratie, sur lequel se sont fondées nos sociétés modernes, n’aurait pas été possible sans une mise en coupes réglées des ressources naturelles.
Transferts écologiques
« Au XVIIIe siècle, résume-t-il, tous les débats d’économie politique portent sur la manière d’avoir plus de grains à manger, plus de bois à couper. La conquête des libertés politiques s’appuie alors solidement sur la dynamique du développement économique et marchand. “Nous ne serons jamais aussi riches que si nous sommes libres, nous ne serons jamais aussi libres que si nous sommes riches, et nous allons nous défaire de l’humiliation que constituent les limites naturelles” : telle est la thèse des libéraux anglais au XVIIIe siècle, qui caractérise le projet moderne. »
Pour la puissante Angleterre comme pour tous les empires coloniaux, une telle assertion ouvre alors des horizons illimités. D’importants transferts écologiques s’opèrent à l’intérieur des empires : l’arbre à pain est déplacé de Tahiti aux Antilles, le thé chinois se retrouve en Inde, le mérinos, mouton espagnol, est introduit en France et en Angleterre. Les plantations de canne à sucre à grande échelle se développent, au Brésil d’abord, puis aux Caraïbes, fondées sur le travail des esclaves.
> Lire aussi Aux origines coloniales de la crise écologique
C’est pourquoi certains chercheurs, à commencer par l’anthropologue américaine Anna Tsing (voir extrait), de l’université de Californie de Santa Cruz, préfèrent au terme « anthropocène » celui de « plantationocène » pour désigner l’ère géologique actuelle. Selon eux, l’époque où les bouleversements de la planète deviennent essentiellement imputables à notre espèce débute avec la colonisation des Amériques, et avec les plantations à grande échelle qui l’accompagnent.
Cette exploitation tous azimuts ne va cependant pas sans contradictions. Parce que le développement des sociétés industrielles autorise une nouvelle sensibilité à l’égard de leur environnement, le dilemme entre la nécessité de conquérir et celle de préserver la nature commence à émerger dès le XIXe siècle. Il ne fera que croître au cours du siècle suivant.
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La solution « simple et radicale » des planteurs portugais
Extrait
La volonté de monter des projets à grande échelle ne se limite pas à la science. Le progrès lui-même a souvent été défini par la capacité de projets à s’étendre sans que le cadre de leurs hypothèses ne change. Cette qualité est la “scalabilité”. (…)
Aux XVIe et XVIIe siècles, dans les plantations de canne à sucre, au Brésil, par exemple, les planteurs portugais sont tombés sur une solution simple et radicale, renouvelable à volonté. De main de maître, ils ont produit des éléments autosuffisants et interchangeables en phase avec leur projet, de la manière suivante : exterminer les peuples et les plantes locaux, aménager à leur goût des terres sciemment dépeuplées, sans risque que quiconque les réclame, et enfin recruter des forces de travail issues de cultures lointaines et isolées. Ce modèle de scalabilité du paysage est devenu une source d’inspiration pour l’industrialisation et la modernisation plus tardives. (…)
Premièrement, les Portugais avaient mis au point un certain type de culture de la canne. (…) Transposée dans le Nouveau Monde, elle ne jouissait quasiment pas de relations interspécifiques. A la différence des autres plantes, la canne avait cette caractéristique d’être autosuffisante et indifférente à toute rencontre. Deuxièmement, (…) l’exploitation de la canne à sucre par les Portugais a coïncidé avec l’obtention d’un nouveau pouvoir : celui d’extraire des peuples d’Afrique et de les soumettre à l’esclavage. Employés comme main-d’œuvre dans les plantations de canne du Nouveau Monde, les esclaves africains présentaient de gros avantages du point de vue des exploitants : ils n’avaient aucun lien social sur place et donc, aussi, très peu d’alternatives. Comme la canne elle-même, qui n’avait hérité d’aucune alliance ou contamination avec d’autres espèces du Nouveau Monde, ils étaient isolés. Ils étaient en route pour devenir les entités autosuffisantes d’une main-d’œuvre complètement standardisée. (…)
Ce fut un succès : d’immenses profits furent réalisés en Europe (…). Les plantations de canne à sucre se sont étendues et propagées à toutes les régions chaudes du monde. (…) Cette formule est à l’origine du rêve que nous en sommes venus à appeler progrès et modernité. 
§ Le Champignon de la fin du monde, d’Anna Tsing (La Découverte, 2017)
<https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/23/aux-origines-du-desastre-ecologique_6047013_3451060.html <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/23/aux-origines-du-desastre-ecologique_6047013_3451060.html>>
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« La fin de la nature ? », une série en six épisodes
• Dépasser le dualisme entre nature et culture <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/20/depasser-le-dualisme-entre-nature-et-culture_6046682_3451060.html>
• La construction du grand partage <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/21/la-construction-du-grand-partage-entre-l-homme-et-la-nature_6046806_3451060.html>
• Naissance du sentiment de la nature <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/22/naissance-du-sentiment-de-la-nature_6046894_3451060.html>
• Aux origines du désastre écologique <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/23/aux-origines-du-desastre-ecologique_6047013_3451060.html>
• Protéger la nature, mais comment ? <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/24/proteger-la-nature-mais-comment_6047132_3451060.html>
• Cohabiter avec tous les vivants <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/25/cohabiter-avec-tous-les-vivants_6047239_3451060.html>
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5- Enquête « La fin de la nature ? » (5/6). Protéger la nature, mais comment ?, Le Monde, 24/07/20, 05h23
Catherine Vincent

« La fin de la nature ? » (5/6). Souvent américains, les pionniers de la défense de l’environnement entendaient sauvegarder la nature sauvage. Aujourd’hui, il s’agit d’être avant tout responsables de nos actions les plus quotidiennes. D’agir non pas sur, mais avec la nature.
En 1858, le poète et philosophe américain Henry David Thoreau (1817-1862) appelle à créer des parcs nationaux, acte fondateur dans l’émergence de la protection de la nature.
En 2019, le géographe français Estienne Rodary prône « une politique de la connectivité » et affirme que la tentation de préserver des « enclaves de nature » est incompatible, écologiquement et socialement, avec notre époque. C’est qu’entre ces deux dates, notre rapport occidental au monde a considérablement évolué. Et, avec lui, la réflexion sur la manière dont il convient d’en prendre soin.
> Lire aussi Habiter le monde, nouveaux possibles
Thoreau, l’auteur de La Désobéissance civile, avait une passion pour la marche. En explorant les montagnes sauvages proches de la frontière nord-est avec le Canada – dont les récits furent rassemblés, en 1864, dans Les Forêts du Maine (Rivages Poche, 2018) –, il découvre une nature « immense, titanesque », que le poète personnalise et qui ne fait guère de place à l’homme. « Elle ne lui sourit pas comme dans les plaines, écrit-il. Elle semble demander sévèrement : pourquoi es-tu venu ici avant ton heure ? Ce terrain n’est pas encore prêt pour toi. Cela ne te suffit donc pas que je sourie dans les vallées ? Je n’ai jamais créé ce sol pour tes pieds, cet air pour ton souffle, ces rochers pour être tes voisins. »
C’est la grande époque de la wilderness : l’exaltation de la nature à l’état sauvage, sublime mise en scène de l’œuvre divine.
« La wilderness, symbole de pureté » 
« Pour les colons puritains de l’Amérique du XVIIe siècle, wilderness est d’abord un terme de la Bible : c’est le désert au sens ancien du terme, la déréliction dans laquelle se trouvent les hommes lorsqu’ils sont abandonnés de Dieu, rappelle la philosophe de l’environnement Catherine Larrère. Le mouvement s’inverse au XVIIIe siècle, notamment sous l’influence du prédicateur et théologien Jonathan Edwards. La wilderness devient la nature que l’homme n’a pas corrompue, un symbole de pureté. »
Dans le sillage de la sensibilité romantique qui s’épanouit alors en Europe, le philosophe transcendantaliste Ralph Waldo Emerson (1803-1882), pour qui la priorité est de chercher ce qui unit l’homme et la nature, ouvre la voie. Suivra Thoreau, et après eux l’écrivain John Muir (1838-1914), dont l’action a notamment contribué à sauver la vallée de Yosemite, en Californie.
Pour ces pionniers de la défense de l’environnement, en cette époque d’industrialisation croissante, il importe avant tout de sauvegarder la nature sauvage. De leur combat naîtront les premiers parcs nationaux – à commencer par Yellowstone, en 1872. « Cette approche, que l’on qualifie de préservationniste, entend limiter l’emprise humaine, préserver des lieux, des territoires “où l’humain est un visiteur qui ne fait que passer” », souligne la philosophe Virginie Maris, en reprenant les termes du Wilderness Act (la loi américaine sur la protection de la nature), voté en 1964.
> Lire aussi « Un autre monde semble disparaître, cette part que nous n’avons pas créée : celui de la nature sauvage »
Mais la réflexion environnementaliste nord-américaine, qui fut souvent pionnière, ne s’arrête pas là. En parallèle émerge une autre approche, plus morale, fondée sur le respect que nous devons à la planète. Une démarche portée notamment par Aldo Leopold (1887-1948) : un ingénieur forestier rompu à la gestion des ressources naturelles, qui vit dans la région des sables du Wisconsin, dans le nord-est des Etats-Unis.
Dans un petit livre publié à titre posthume en 1949, Almanach d’un comté des sables (Flammarion 2017), Leopold décrit le territoire et les paysages qui l’entourent. L’originalité de ce texte tient pour beaucoup à la posture de son auteur : celle d’un chasseur expérimenté plutôt que d’un moraliste. Or, savoir trouver son gibier, c’est être capable d’adopter le point de vue de l’animal que l’on traque. C’est quitter sa position en surplomb pour se mettre à sa place. C’est apprendre à « penser comme une montagne » car « seule une montagne a vécu assez longtemps pour écouter objectivement le hurlement du loup ».
« Ethique de la terre »
Dans la dernière partie de son Almanach, le forestier défend ainsi une « éthique de la terre » (land ethic) : une manière d’être au monde qui « élargit simplement les frontières de la communauté de manière à y inclure le sol, l’eau, les plantes et les animaux » – ce qui, ajoutait-il, ne peut exister « sans amour, sans respect, sans admiration pour [la terre], et sans une grande considération pour sa valeur ».
Une réflexion que poursuit aujourd’hui, à l’aune du désastre écologique actuel, le philosophe américain John Baird Callicott. Proposant de substituer à l’anthropocentrisme un « écocentrisme », celui que Catherine Larrère considère comme « sans doute le plus fécond et le plus original des théoriciens contemporains de l’éthique environnementale » s’attelle à une entreprise ambitieuse, dont Ethique de la terre (Wildproject, 2010) donne un aperçu : la refonte intégrale de l’idée de nature.
> Lire aussi Wildproject, dix ans d’« humanités écologiques »
Pour Callicott, la terre n’a pas une simple valeur instrumentale, mais une valeur intrinsèque. Cela n’interdit pas d’en tirer profit, mais pas dans n’importe quelles conditions. « Les êtres humains, auxquels nous conférons une valeur intrinsèque, n’en sont pas moins appelés, dans le contexte professionnel, “ressources humaines” », observe-t-il. Mais dans les sociétés qui reconnaissent les droits de l’homme, l’utilisation de ces « ressources » est limitée par des contraintes éthiques et légales. « Si la valeur intrinsèque de la nature était officiellement reconnue, on continuerait d’exploiter la nature, mais de semblables contraintes seraient mises en œuvre pour limiter cette exploitation. »
Nous voici loin de la wilderness. Il ne s’agit plus de « protéger » à distance, mais d’être responsable dans nos actions les plus quotidiennes. D’agir non pas sur, mais avec la nature. Comme l’ont pratiqué depuis l’Antiquité les peuples autochtones de l’immense Amazonie, aujourd’hui dévastée par les intérêts industriels.
> Lire aussi Une déforestation inquiétante en Amazonie brésilienne depuis le début de l’année
Comme tentent – non sans mal – de le faire les populations des aires protégées d’Afrique australe, où les parcs nationaux hérités de la période coloniale sont devenus, note le géographe Estienne Rodary dans L’Apartheid et l’animal (Wildproject, 2019), « des espaces sauvages habités d’espaces sociaux ».
Sauvegarder le vivant de la disparition pure et simple
Faut-il, donc, en finir avec la préservation de l’environnement dans son état premier ? Sous les effets conjoints des sciences de l’écologie, de l’émergence du « développement durable » et du souci croissant d’atténuer le dualisme en l’homme et le reste du monde, ce principe défendu au XIXe siècle a, certes, perdu de sa vigueur.
Il n’en trouve pas moins de nouveaux défenseurs, telle la philosophe de l’environnement Virginie Maris (voir extrait). Car intégrer les humains dans la nature, remarque-t-elle, « c’est faire essentiellement de celle-ci le milieu des humains et perdre notre capacité à la reconnaître et à la défendre dans son altérité ». Cette chercheuse au CNRS invite ainsi à redonner sa place à La Part sauvage du monde (Seuil, 2018) – cette nature « qui se fait sans nous, autre, extérieure, autonome », irrémédiablement étrangère aux finalités humaines.
« Dans le mot latin servare (« préserver », « conserver »), il y a l’idée de soigner, mais il y a aussi celle d’empêcher l’altération, remarque, quant à elle, Anne Simon, spécialiste de l’animalité en littérature. Le mot “préserver” est donc ambivalent : soit on est du côté d’un soin et d’un souci, soit on est du côté d’un maintien en l’état. » A cette deuxième définition, répondent les tentatives actuelles pour sauvegarder le vivant de la disparition pure et simple – réserves naturelles, zoos dans lesquels sont reproduites les espèces menacées d’extinction, biobanques telle la Réserve mondiale de semences du Svalbard, en Norvège.
> Lire aussi Anne Simon : « Je suis traversée par ce qu’on inflige au vivant »
A la première, qui a sa préférence, revient la mission de préserver la nature « comme énergie, comme puissance temporelle ». C’est pourquoi Anne Simon plaide pour qu’on laisse les toiles d’araignée dans certains coins de la maison. Pour qu’on se préoccupe de nos sous-sols urbains (« où les racines des arbres sont probablement isolées les unes des autres, alors qu’on sait désormais qu’elles constituent pour eux un moyen de communication »). Pour qu’on laisse dans les villes, grandes et petites, « de la place aux interstices et aux friches ». Des gestes en apparence dérisoires, dont la multiplication pourrait toutefois ouvrir la voie à une autre manière de partager le monde avec les non-humains.
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Extrait
• « Les sources du réensauvagement du monde »

Le modèle de développement extractiviste et productiviste est en train de s’autodétruire tant il a ignoré le tissu vivant dont il dépendait (…). Inventer des façons plus douces de cohabiter avec le vivant non humain est donc un enjeu essentiel pour la protection de la nature autant que pour le bien-être humain. Néanmoins, ceux qui défendent une écologie de la reconnexion le font souvent en prenant d’abord appui sur une critique de la préservation de la nature sauvage (…) [Or], pour « faire avec » la nature, encore faut-il connaître son partenaire, et pour le connaître lui donner une chance d’exister selon les modalités qui lui sont propres, sans entraves.
Nous nous sommes habitués à la nature contrainte et affaiblie que l’on côtoie dans les villes et dans les campagnes. Nous trouvons normal de voir dans certains quartiers autant de chats que de maisons – et d’autant moins d’oiseaux et de petits mammifères –, mais nous voulons pouvoir rouler à grande vitesse sur des routes forestières sans risque de collision avec des ongulés. Sans référence à une nature non contrainte par les influences humaines, il est impossible de se donner une idée du niveau de diversité et de densité que les milieux naturels peuvent contenir. (…)
Là où nous vivons, il faut apprendre à « faire avec » la nature plutôt qu’à faire contre, naviguer sur ses eaux d’une façon acceptable pour nous, mais aussi pour les autres entités qui peuplent nos villes, nos champs et nos forêts. Mais la nature ne peut s’exprimer pleinement nulle part mieux que dans les territoires que l’humain n’a pas aliénés à ses propres besoins. C’est cette part sauvage du monde qui permet à la vie non humaine de suivre son propre cours.
Aujourd’hui, les aires protégées sont des refuges, mais si nous relevons le défi de la reconnexion et que nous réussissons à penser autrement nos villes et nos campagnes, elles deviendront les sources du réensauvagement du monde.
§ « La Part sauvage du monde », de Virginie Maris (Seuil, 2018).
<https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/24/proteger-la-nature-mais-comment_6047132_3451060.html <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/24/proteger-la-nature-mais-comment_6047132_3451060.html>>
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« La fin de la nature ? », une série en six épisodes
• Dépasser le dualisme entre nature et culture <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/20/depasser-le-dualisme-entre-nature-et-culture_6046682_3451060.html>
• La construction du grand partage <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/21/la-construction-du-grand-partage-entre-l-homme-et-la-nature_6046806_3451060.html>
• Naissance du sentiment de la nature <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/22/naissance-du-sentiment-de-la-nature_6046894_3451060.html>
• Aux origines du désastre écologique <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/23/aux-origines-du-desastre-ecologique_6047013_3451060.html>
• Protéger la nature, mais comment ? <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/24/proteger-la-nature-mais-comment_6047132_3451060.html>
• Cohabiter avec tous les vivants <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/25/cohabiter-avec-tous-les-vivants_6047239_3451060.html>
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6- Enquête « La fin de la nature ? » (6|6). Cohabiter avec tous les vivants, Le Monde, 25/07/20, 06h40
Catherine Vincent

« La fin de la nature ? » (6|6). Gilles Clément, Eduardo Viveiros de Castro, Eduardo Kohn, Vinciane Despret, Baptiste Morizot, Donna Haraway, Anna Tsing : pour dessiner un autre futur, ces penseurs du vivant esquissent de nouvelles alliances avec la nature.
Tamara Giles-Vernick est anthropologue à l’Institut Pasteur. Spécialiste de l’émergence des maladies infectieuses, elle cherche à comprendre comment les agents microbiens circulent d’une espèce à l’autre – comment apparaissent les zoonoses, dont la pandémie de coronavirus constitue un dramatique exemple.
Une recherche aux interstices de l’ethno-histoire et de l’anthropologie médicale, dont les participants sont à la fois des humains et des animaux, et qui a souvent pour décor des zones de transition écologique – par exemple, entre savane et forêt.
L’anthropologue Frédéric Keck, lui aussi, étudie la manière dont nos relations avec les non-humains transforment les politiques de santé. Dans un ouvrage fraîchement publié, Les Sentinelles des pandémies (Zones sensibles, 240 p., 20 euros), il explique que les microbiologistes pensent « comme des chasseurs, qui prennent alternativement le point de vue du microbe et de son hôte pour décrire leurs relations dans un environnement global perturbé ». Dans leur travail de surveillance, il leur faut aussi prévoir des animaux sentinelles pour aider les humains. En 2008, alors que sévissait à Hongkong l’épidémie de grippe aviaire H5N1, des volailles non vaccinées furent ainsi placées à l’entrée des rangées de cages afin de signaler l’arrivée de la maladie. Dans un monde marqué par des transformations drastiques dans l’urbanisation, l’élevage industriel, la déforestation et le changement climatique, il nous faut apprendre à cohabiter avec le reste du vivant.
> Lire aussi Jane Goodall : « Prenons conscience que la pandémie est liée à notre manque de respect pour le monde naturel »
Cohabiter : tel est désormais le mantra d’un nombre croissant de chercheurs. Il en va de notre survie. Car, sous le joug de notre domination tous azimuts, la nature rend les coups. Elle résiste, elle s’adapte, elle se retourne contre nous.
Pour réduire les dégâts et dessiner un autre futur, il est donc urgent d’interroger son altérité, et de bâtir d’autres alliances avec elle. C’est ainsi, mais ainsi seulement, que nous pourrons échapper au désastre. Et remplacer, selon l’anthropologue australienne Deborah Bird Rose, « l’existentialisme de la solitude » par « un existentialisme écologique » (voir extrait).
Ces travaux de recherche sont si foisonnants qu’il est impossible de les ordonner, encore moins de les citer tous. Voici donc un florilège de ces nouvelles pensées du vivant, et de leurs terrains de prédilection.
• Gilles Clément et les paysages
Bien avant que la préoccupation écologique devienne omniprésente, cet artisan du renouveau des jardins en France défendait l’idée qu’il fallait laisser les plantes transformer l’espace. Le jardinier ne fait qu’accompagner ce qui arrive.
« Si l’on part du principe que la diversité est en péril, il faut qu’on la protège. Peut-être qu’on l’amplifie dans un jardin, résumait-il, en juin 2017, lors d’une rencontre organisée à l’arboretum de la Sédelle, dans la Creuse. Il s’agit de repérer quels sont les microclimats, les espaces, de voir comment ça se passe. »
> Lire aussi Rencontre entre les botanistes Gilles Clément et Francis Hallé : « Les plantes paraissent toujours exotiques au début »
L’inventeur du concept du jardin en mouvementfut aussi parmi les premiers à affirmer qu’il faut laisser au jardin des espaces de compost, de détritus, refuges de la diversité. Il les appelle les lieux du « tiers paysage ».
• Eduardo Viveiros de Castro et le perspectivisme
Après avoir longtemps étudié les Amérindiens d’Amazonie Araweté, cet anthropologue brésilien publie, dans les années 1990, ses premiers travaux sur le perspectivisme.
Le point de vue d’une espèce sur les autres et sur le monde, affirme-t-il, dépend toujours du corps où elle réside : « Ce qui pour nous est du sang est de la bière pour les jaguars ». « Pour Viveiros de Castro, ce sont les points de vue qui vont constituer l’objet, précise Thibault De Meyer, doctorant en philosophie des sciences à l’université de Liège (Belgique). Dans cette optique, le sang n’est pas défini comme un ensemble de globules rouges, mais par la manière dont il nous affecte : c’est ce qui nous fait peur, et qui provoque le désir chez le jaguar. Il n’y a pas d’objet autonome, mais seulement en relation “avec” ». 
> Lire aussi "Métaphysiques cannibales", d'Eduardo Viveiros de Castro et "Les Différents Modes d'existence" suivi de "De l'oeuvre à faire", d'Etienne Souriau : intensités de la métaphysique
• Eduardo Kohn et les forêts
Spécialiste de l’Amazonie, il prolonge en quelque sorte les travaux de Viveiros de Castro. Dans un ouvrage remarqué, Comment pensent les forêts. Vers une anthropologie au-delà de l’humain (Zones Sensibles, 2017), ce Canadien explore la façon dont les Runa du Haut Amazone équatorien interagissent avec les créatures qui peuplent leur écosystème, l’un des plus complexes au monde.
Plutôt que de porter son attention sur les relations que nous tissons avec d’autres êtres, il façonne de nouveaux outils pour interpréter les propriétés étranges et inattendues du monde vivant lui-même. Car la faculté de représentation, loin d’être le propre de l’humain, est aussi à l’œuvre dans le règne animal et végétal. Ainsi les fourmis coupe-feuille sortent-elles de leur colonie après que les chauves-souris sont allées se coucher, et avant que les oiseaux ne se soient éveillés. Dans la forêt de signes qu’est l’Amazonie, tous les êtres s’épient et se modifient donc les uns les autres.
> Lire aussi Toute vie s’interprète
• Vinciane Despret et les oiseaux
Depuis plus de vingt ans, la philosophe et éthologue belge Vinciane Despret construit sa démarche scientifique sur cette conviction : pour étudier le comportement d’un animal, il faut faire connaissance avec l’animal réel et tenter de penser avec lui.
Son dernier ouvrage, Habiter en oiseau (Actes Sud, 2019), explore ainsi les mille et une raisons qu’ont les oiseaux de faire territoire. Une assertion revient souvent dans sa pensée : ce qu’il est important d’étudier, c’est ce qui importe aux autres. « Je suis très imprégnée par la tradition philosophique de William James [philosophe américain, 1842-1910], pour qui rechercher la vérité, c’est rechercher ce qui importe, confirme-t-elle. Il dit cette chose très belle : “Une philosophie doit toujours se poser la question de savoir si, de là d’où elle parle, elle n’a pas laissé un être au-dehors qui demande : “Par où vais-je pouvoir entrer ?”» 
> Lire aussi Nuit des idées 2020 : « Il y a déjà des mondes sans oiseaux », selon Vinciane Despret
• Baptiste Morizot et la diplomatie
Depuis la parution de ses Diplomates (Wildproject, 2016), essai de philosophie animale dans lequel il esquisse un monde où nous vivrons « en bonne intelligence avec ce qui, en nous et hors de nous, ne veut pas être domestiqué », Baptiste Morizot, chercheur à l’université Aix-Marseille, n’a plus cessé d’explorer nos relations aux vivants.
Outre son savoir philosophique, il convoque pour cela la sensibilité acquise lors de sa pratique du pistage des loups, qui le fait se mettre à la place de ceux qu’il piste. Considérer les autres vivants non plus comme des ressources mais comme des alliés, c’est à ses yeux le seul moyen de « rendre la nature miscible en politique ». Des vivants qui sont « encore des moyens, pour certains, parce qu’il faut bien vivre, mais plus seulement des moyens : des moyens fins envers lesquels on est embarqués à inventer des nouvelles formes de réciprocité ».
> Lire aussi « Le loup remet en question notre modèle de souveraineté humaine »
• Donna Haraway et la « sympoïèse »
Biologiste, philosophe, historienne des sciences, cette figure majeure du féminisme américain des années 1970 s’intéresse aux mécanismes de cocréation du vivant. Une biologie centrée « non plus sur l’étude de lignées ou d’identités spécifiques mais sur les transformations mutuelles et les tissus d’interdépendance qui se créent entre les corps et leur milieu » – ce qu’elle appelle la « sympoïèse ».
Dans Vivre avec le trouble (Des mondes à faire, 380 p., 28 euros), elle nous invite ainsi à apprendre « à être des bestioles mortelles, entrelacées dans des configurations innombrables et inachevées », et à créer avec les autres vivants des « parentés dépareillées ».
> Lire aussi Donna Haraway : « Avec le terme chthulucène, je voulais que l’oreille entende le son des terrestres »
• Anna Tsing et les champignons
Avec son Champignon de la fin du monde (Les Empêcheurs de penser en rond/La Découverte, 2017), cette anthropologue américaine nous entraîne dans la formidable odyssée du matsutake, qui ne pousse que dans les forêts détruites. Elle montre comment ce champignon à l’arôme unique y trouve la possibilité non seulement de vivre, mais d’aider à vivre d’autres vivants, humains compris.
> Lire aussi Anna Tsing, anthropologue des liens
« Dans cette période de faibles espoirs, écrit-elle, je m’intéresse aux écologies issues de la perturbation dans lesquelles de nombreuses espèces vivent parfois ensemble sans harmonie et sans opération de conquête. » La seule issue, à ses yeux, pour que toutes les créatures, une fois « débarrassées de l’Homme et de la Nature », puissent trouver La possibilité de vivre dans les ruines du capitalisme – le sous-titre de l’ouvrage.
<https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/25/cohabiter-avec-tous-les-vivants_6047239_3451060.html <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/25/cohabiter-avec-tous-les-vivants_6047239_3451060.html>>
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« La fin de la nature ? », une série en six épisodes
• Dépasser le dualisme entre nature et culture <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/20/depasser-le-dualisme-entre-nature-et-culture_6046682_3451060.html>
• La construction du grand partage <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/21/la-construction-du-grand-partage-entre-l-homme-et-la-nature_6046806_3451060.html>
• Naissance du sentiment de la nature <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/22/naissance-du-sentiment-de-la-nature_6046894_3451060.html>
• Aux origines du désastre écologique <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/23/aux-origines-du-desastre-ecologique_6047013_3451060.html>
• Protéger la nature, mais comment ? <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/24/proteger-la-nature-mais-comment_6047132_3451060.html>
• Cohabiter avec tous les vivants <https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/07/25/cohabiter-avec-tous-les-vivants_6047239_3451060.html>
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– Démocratie participative : guide des outils pour agir <http://think-tank.fnh.org/sites/default/files/documents/publications/publication_etat_deslieaux_democratie_participative_0.pdf>, Etat des lieux & Analyses n°3, nouvelle édition, mars 2015
– Mobilité au quotidien - Comment lutter contre la précarité ? <http://think-tank.fnh.org/sites/default/files/documents/publications/etude-mobilite-precarite.pdf>, Etat des lieux & Analyses, septembre 2014
– Etude. Les solutions de mobilité soutenable en milieu rural et périurbain <http://think-tank.fnh.org/sites/default/files/documents/publications/etude-solution-mobilite-soutenable.pdf>, Fondation Nicolas Hulot & RAC France, juillet 2014
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